D’UNE SCÈNE À L’AUTRE

Menée par le génial Raphaël Quenard, cette soirée de théâtre qui tourne aux règlements de comptes est sans coup férir une des meilleures réalisations de Quentin Dupieux (« Rubber », « Mandibules »). Il est désormais disponible en DVD et sur toutes les plateformes.

Qui n’a pas un jour rêvé, dans un théâtre où la nullité du spectacle donne la désagréable impression d’être pris à la fois pour un con et en otage, de se lever et de haranguer les comédiens ? Yannick, gardien de parking a payé sa place, a mis une heure pour venir de Melun. Il s’est offert la sortie de ses rêves mais elle tourne au cauchemar. Dans une salle à moitié pleine, il prend la parole et s’adresse aux trois intervenants sur la scène qui débitent leur texte sans vraiment y croire pour leur signifier leur médiocrité. Les échanges vont rapidement dégénérer. 

Le but avéré de Quentin Dupieux sur ce film était de faire de l’anti-cinéma. Sans artifice, sans y mettre le PIB du Lesotho, sans une pléthore de décors, un minimum de musique : simplement des comédiens, une salle de spectacle et un texte. 

Le pari était gonflé car même si on a déjà vu ce procédé au cinéma (« Chorus Line » d’Attenborough), l’épure dans laquelle se joue cette comédie dramatique est totale. Déjouant l’écueil du théâtre filmé grâce à des plans souvent hyper travaillés (les contreplongées du monologue de Pio Marmaï), Dupieux nous happe dès les premières minutes et ne nous lâche plus, orchestrant un crescendo où le rire se fait de plus en plus grinçant jusqu’à disparaître de l’écran. 

INVERSER LA TENDANCE

En apôtre de la déstructuration, Dupieux, avec une maîtrise de l’ensemble de son propos (il est au scénario, à la production, directeur photo et montage et bien sûr à la mise en scène) offre un film très court parfaitement mené et abouti. Le personnage-titre, apparemment plus idiot que gonflé au départ, évolue rapidement vers celui qui met son audace au service d’une réflexion jusqu’à inverser la tendance et le parer d’un capital sympathie assez inattendu auquel le scénario prête par ailleurs une dose de tendresse plus que salvatrice. Yannick, ce cabossé de la vie, semble en effet tout droit sorti des «  Dingues et les paumés » de Thiefaine… 

Pour défendre ce dialogue à l’écriture au cordeau, quatre comédiens. Même si le trio Marmaï-Gardin-Chassagne fait un sans-faute, Raphaël Quenard crève littéralement l’écran dans un rôle plus que casse-gueule. Le film lui doit beau dans son éclatante réussite et même si on pouvait espérer un final avec une ultime pirouette plutôt que cet épilogue plutôt convenu (comme si Dupieux, en sale gosse, décidait de ranger ses jouets après avoir foutu un joli et jubilatoire bordel), « Yannick », avec son originalité et sa maîtrise peut incontestablement se hisser parmi les meilleurs opus de son auteur.

Franck BORTELLE

« Yannick » de Quentin Dupieux (2023), 1h04 avec Raphaël Quenard, Blanche Gardin, Pio Marmaï

Disponible en DVD et sur les plateformes.

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