» ON NE FAIT PAS DU CINÉMA ET DU THÉÂTRE PAR HASARD »

Elle dégage une aura, un magnétisme rares lorsqu’elle est à l’écran. La manière dont son beau visage capte la lumière confère une autre dimension à son jeu puissant, investi. Ajouté à cela un rôle sur mesure qu’elle a d’abord joué au théâtre avant de passer devant cette caméra qui semble amoureuse d’elle. « L’Oeil du cyclone » l’aura consacrée notamment avec un prix d’interprétation au FESPACO en 2015. Elle était à l’Institut français du Togo ce 12 mars. Portrait d’une diva du cinéma africain qui ne se prend pourtant pas pour une star…

Elle est arrivée sur la scène dans toute la simplicité des grands, drapée d’une robe aussi classique qu’élégante. Les lumières venaient de se rallumer après la projection de ce magnifique thriller « L’Oeil du cyclone » dans lequel elle irradie. La caméra semble l’aimer plus que de raison. Elles sont rares, les comédiennes pouvant se prévaloir de ce magnétisme, de cette manière de capter la lumière comme c’est le cas pour Isabelle Adjani, Emmanuelle Béart ou encore Romy Schneider. Mais cette beauté sculpturale ne fait pas tout, sinon Monica Bellucci serait la reine du cinéma européen. Il y a cette capacité de jeu, cette immense concentration sur ce rôle d’avocate dont elle défend les convictions avec une ténacité exemplaire. Et là, on aurait plutôt en tête la référence à Jodie Foster dans « Le silence des agneaux ». L’histoire est certes différente mais nous sommes malgré tout dans les deux films en présence d’une femme qu’on juge pas à sa place et qui pourtant défend l’indéfendable. Le public n’a pas manqué de lui poser des tas de questions. En voici un résumé.

Votre personnage fait penser à Jodie Foster dans « Le Silence des Agneaux » de Jonathan Demme. Cette même force de jeu, cette même détermination…

Merci pour la comparaison. J’adore Jodie Foster et notamment dans ce film. Elle est un modèle pour moi. J’aimerais atteindre son niveau de jeu.

Comment vous positionnez-vous aujourd’hui, presque dix ans après, par rapport à ce film ?

C’est drôle mais pendant que le film passait, je me suis surprise à devancer les dialogues qui sont encore très présents dans ma mémoire. Alors que nous avons joué la pièce de théâtre plus souvent, même si c’était avant le tournage puisque la pièce remonte à 2003 et qu’elle a fait le tour du monde.

Vous pouvez nous parler de votre collaboration avec Fargass Assendé qui est incroyable dans le film ?

La pièce au départ devait se jouer avec un autre comédien et puis ça ne s’est pas fait. Fargass est arrivé sur le projet en catastrophe et c’est pendant le trajet d’Abidjan, où nous étions à l’époque, vers Ouagadougou qu’il a appris son texte et qu’on a répété pour arriver à la première du FITD. C’est là que s’est créé le lien avec lui. On s’est vraiment soutenu et il y a eu quelque chose que j’essaie d’insuffler dans mes cours et qu’il a apporté sur ce projet : de la pure générosité. Après, les choses ont suivi un chemin normal et je ne vois pas qui d’autre que lui aurait pu jouer ce personnage avec moi. D’ailleurs le metteur en scène a soutenu nos candidatures face aux producteurs qui voulaient mettre des têtes d’affiche. Et puis pour compléter les choses, il faut savoir que nous avons au départ travaillé, pour la pièce, sur la base d’improvisations. Fargass a cherché à rencontrer beaucoup d’enfants soldats pendant que moi, je m’imprégnais des ambiances de tribunal, d’assises…

Après toutes ces années à jouer ce personnage, en êtes-vous vraiment sortie aujourd’hui ?

Moi je dis qu’on ne fait pas du cinéma et du théâtre par hasard. Mes rôles ont souvent été proches de celui de l’avocate. Et quand on voit les choses au moment où on fait toutes ces recherches dont je parlais tout à l’heure, quand on est avec ces enfants, quand vous touchez de près cette réalité et que vous vous mettez dans la peau de quelqu’un qui veut défendre ces enfants-là et que vous allez chercher en plus en vous ce qui nourrit votre personnage, c’est très, très difficile de s’en détacher. Avec la pièce, comme c’était tous les soirs différents, je m’en suis détaché plus facilement mais avec le film, par son caractère définitif, l’investissement est différent. Et à chaque fois que je le revois, je suis encore très touchée.

Qu’est-ce qui vous a amenée là où vous êtes ?

Je n’étais pas du tout destinée à devenir actrice. Ce sont des résistances de la vie, des injustices face auxquelles j’ai été confrontée qui m’ont poussée à faire ce métier-là. J’avais le choix entre être médecin (métier utile, héroïque) ou avocat (le fait qu’ils prennent la défense d’individus). Je ne voulais pas vivre dans un environnement carré comme celui dont je suis issue. J’ai commencé par suivre ce chemin jusqu’au jour où j’ai eu le déclic. Ça n’a pas été facile. J’ai abandonné tout ça et j’ai fait mon choix. Personne dans ma famille n’est dans ce milieu artistique même si aujourd’hui je pense qu’ils sont tous des artistes refoulés car on est tous artistes quelque part. Je suis la seule à avoir pris mon bâton de pèlerin, en dépit de ceux qui m’ont tourné le dos. Je ne fais pas ce métier pour amuser la galerie mais pour me rendre utile. Le cinéma doit faire pousser les lignes, conscientiser les gens, faire changer les mentalités, faire réfléchir. Même si c’est très bien aussi de faire rire mais ce n’est pas tout.

Comment peut-on interpréter la toute fin du film avec le geste du prisonnier sur son avocate ? C’est une fin ouverte, certes et donc laissée à l’appréciation de chacun…

Ce n’est pas moi qui aie écrit le scénario mais ne peut-on pas voir dans ce geste dont on ne connaît pas la suite, d’où la fin ouverte dont vous parlez, une volonté de la garder près de lui après la perte qu’il a subie ? Il est clairement dit dans le film qu’il ne sait pas comment il va affronter ceux qui l’attendent dehors…

Vous avez réalisé des documentaires, vous allez bientôt franchir le pas de la réalisation de fiction. Pourquoi cette nouvelle orientation alors qu’à la base vous êtes actrice ?

Tous les arts sont liés pour moi. On choisit un art pour s’exprimer. D’ailleurs j’ai été danseuse pendant des années. Moi je suis plus dans l’expression orale. Dans mon parcours de danseuse, de comédienne, de présentatrice aussi, il y avait des sujets dont on ne parlait pas suffisamment surtout en Afrique. Des sujets de société qui n’intéressaient pas forcément les gens. D’où la solution d’auto-produire mes documentaires. Pour la fiction, c’est simplement parce que j’aime les challenges. Après les documentaires sur divers sujets (les femmes, la santé mentale…) je veux explorer autre chose. Dans deux ans, peut-être que je ferai de la peinture. J’écoute beaucoup mes intuitions.

Comment est construit le décor de la prison ?

On a tourné dans une prison en fin de construction à la sortie de Ouagadougou. Une prison de haute sécurité. Le rez-de-chaussée était occupé mais pas les deux niveaux du dessus et ce sont ces niveaux qu’on nous a prêtés pour tourner. Et c’est à l’intérieur de cet espace qu’on a reconstitué la cellule qui est la seule chose qui n’est pas d’origine. Les couloirs sont vraiment tels quels. On sentait vraiment la tension, l’oppression, l’impression d’enfermement avec l’obligation d’être partis à 16 heures pile. Les techniciens, qui d’ordinaire aiment bien trainer, étaient les premiers dehors (rires dans la salle).

Comment sort-on d’un personnage ?

On ne fait pas un film ou une pièce de théâtre à tout prix. C’est un engagement profond. Et ça a forcément des conséquences. Il n’y a pas que du bon. Malheureusement, ici en Afrique, on n’a pas les soutiens qu’il faut de la part de ceux qui nous entourent, metteurs en scène, famille etc. Un metteur en scène qui vous confie un rôle doit avoir conscience que c’est quelque chose de lourd. Il doit y avoir un accompagnement psychologique avant et après. Et pour les femmes c’est parfois plus difficile encore. Culturellement il y a des choses auxquelles ont n’est pas préparée. Quand des films emploient des actrices juste pour leur plastique, le poids, le regard, les critiques qu’elles subissent est très dur et certaines finissent par se suicider. La société les a assimilées au rôle qu’elles ont joué. Je pense notamment au film « Visages de femme » de Désiré Ecaré. La comédienne de « Mektoub my love » est partie aux USA pour échapper à tout ça et le metteur en scène (Abdelatiff Kechiche) n’a rien fait pour l’aider. Et on peut étendre ce problème à d’autres corporations : les femmes que j’ai rencontrées en préparant mon rôle m’ont témoigné de la difficulté d’être une femme dans les métiers de la magistrature. Elles doivent se battre pour prouver qu’elles peuvent défendre aussi bien qu’un homme la cause de quelqu’un. Mais pour revenir à la manière de quitter un personnage, c’est impossible. On va chercher en soi ce qu’il faut pour réussir à interpréter correctement un personnage. Moi, tous mes personnages me suivent. Je ne les ai jamais quittés.

Propos recueillis par Franck BORTELLE

1 thought on “CINÉMA : rencontre avec Maïmouna N’Diaye (« L’oeil du cyclone)

  1. Actrice incroyable, son personnage dans le film dégage une émotion directe. Vrai. On a l’impression de vivre les événements du film. Et en tant que formatrice, elle sait communiquer ses émotions, ses vécus, et les expériences de son art. Je suis fier d’être son élève.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *