BIEN MAL ACQUIS…

Une comédie menée à un rythme d’enfer pour dénoncer le paradis imaginaire des grands gagnants de la loterie. Le genre a souvent inspiré mais rarement l’essai avait été aussi bien transformé. Une vraie réussite.

Un couple tout ce qu’il y a de plus normal, découvre dans sa bagnole, à la faveur d’un ralentissement sur la route de vacances qui s’annoncent des plus pourries, qu’ils sont millionnaires suite à l’achat deux mois plus tôt du ticket de loto gagnant. Mais il ne leur reste que quelques minutes pour aller s’annoncer à la société des jeux… S’ensuit une cavalcade dans les rues étroites de la cité phocéenne pour arriver à temps. Jamais l’expression « le temps c’est de l’argent » n’a tant été de circonstance…

La loterie a inspiré quelques films mais sans vraiment parvenir à faire gagner à leurs auteurs autre chose que les pires qualificatifs de nullité. Si « Ah si j’étais riche » (2002) évitait de justesse le désastre, « Golden Boy » (1996), malgré la présence du génial Jacques Villeret, se situait aux antipodes du chef-d’oeuvre du réalisme poétique « Le Million » (1931) de René Clair. Plus subtil, « Vieilles Canailles » (1998) nous embarquait à la recherche du grand gagnant qu’on découvrait mort dans sa maison en pleine campagne irlandaise. Mais rarement les scénaristes ont vraiment lâché la bonde pour créer des situations abracadabrantes et traduire ainsi l’état de déboulonnement psychologique et d’ivresse des grands gagnants…

DES COMÉDIENS AU TOP

Maxime Govare et Romain Choay, scénaristes et metteurs en scène, n’ont pas manqué d’imagination sur ce sujet. Menée à une cadence infernale, la première séquence annonce la couleur avec cette famille pétrie de beaufidude divinement interprétée par Fabrice Eboué et la toujours très juste Audrey Lamy (à ne pas confondre avec sa soeur, pire comédienne de sa génération). Mais au lieu de se focaliser sur ces premiers personnages, ce qui aurait vraisemblablement enlisé l’histoire dans les redites et gags éculés, les auteurs vont enchainer avec une tout autre situation où un escort supposé tombe amoureux d’une gagnante nunuche. Puis nous passerons à trois lascars « daechisés » sur le point d’aller s’envoyer en l’air pour retomber en charpie, une ceinture d’explosifs à la taille et qui découvrent qu’ils ont les sept bons numéros, ce qui forcément fait réfléchir et remettre la défloraison des fameuses 72 vierges sine die. Puis cinq gagnants qui détroussent le détenteur du ticket miracle, mort d’un infarctus à l’annonce du tirage…

Chaque épisode qui pourrait presque faire de ce long métrage un film à sketchs réserve des moments d’une irrésistible drôlerie parfois cruelle et macabre, qu’ils soient provoqués par des gags visuels ou les choix de certains chansons (l’un des tubes de Daniel Balavoine génialement utilisé), le tout visant clairement à transformer le paradis bien artificiel de la richesse en enfer pour les grands gagnants. Avec une moralité qui au final, nous renvoie à notre propre rapport à l’argent, ce pourvoyeur bien hypothétique de bonheur au nom duquel les sept péchés capitaux sont bien souvent convoqués.

Ne nous leurrons pas : ce film ne changera probablement en rien l’idée qu’on peut se faire de ce fantasme de devenir millionnaire grâce à un bout de papier orné de sept numéros. Mais il nous aura fait passer un excellent moment grâce à des dialogues très percutants, des personnages finalement ni heureux ni gagnants mais très drôles, une belle image, des comédiens au top (la trop rare Anouk Grinberg toujours parfaite) et un sujet traité avec cette dose d’humour bien noir qui en fait un film vraiment original dont on ne serait pas surpris, si le succès est au rendez-vous, de le le voir rapidement flanqué d’une suite…

Franck BORTELLE

Heureux gagnants de Maxime Govare et Romain Choay (2024) avec Audrey Lamy, Anouk Grimberg, Fabrice Eboué, Pauline Clément. Durée : 1h35

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