AU NOM DE TOUS LES CHIENS

C’est le roman que tous les amoureux de la gent canine, et même animale en général, attendaient. Cédric Sapin-Defour nous livre une histoire poignante mais non départie d’une haute portée philosophique sur treize années d’un bonheur sans faille auprès d’Ubac, bouvier bernois, véritable élévateur de conscience et d’humanité. Un livre incandescent comme une fusion, celle d’un homme avec son plus fidèle compagnon... C’est déjà un best-seller

Nul doute que Milan Kundera (dont le chien Karenine hante « L’insoutenable légèreté de l’être » jusqu’à la dernière partie qui lui est entièrement consacrée), Marguerite Yourcenar, Colette, Victor Hugo (d’ailleurs cité) ou encore Emile Zola et Jacques Prévert (également mentionné) auraient sans sourciller apporté leur bénédiction à cet ouvrage aussi beau que puissant. Si la littérature a souvent rendu un digne hommage à ce genre si souvent outragé, supplicié, humilié et offensé, elle ne s’est que rarement penchée sur cette passion qui peut lier un homme à son chien…

« C’est tellement ça ! ». Voilà la phrase que le lecteur de ce magnifique ouvrage sera amené à prononcer au bas mot une page sur deux. Qu’il s’agisse de leurs gestes rituels ou de leurs regards interrogateurs, des craintes répétées ou des joies fugaces qu’ils font naître en nous, de leur forme plus développée qu’il n’y parait de leur intelligence (et merde à Descartes en passant !) ou de leur propension à la « foldinguerie », de leur présence quand ils ne sont plus là ou de leur absence lorsqu’on les a laissés seul à surveiller le logis, les chiens se ressemblent tous beaucoup, tellement. Et pourtant…

C’est quelque chose d’indicible qui souvent les différencie. Parce que c’est lui et pas un autre. Parce qu’elle, ce jour-là, nous aura traversé de part en part d’un simple regard lourd de sens. Parce que votre rencontre est en nulle autre pareille. Parce que… parce que… Parce que c’est celui-ci ou celle-là qu’on aime, tout simplement… 

UN TITRE MAGNIFIQUE

Ce sont toutes ces petites différences qui s’inscrivent dans un délicieux maelström de similitudes que l’auteur de « Son odeur après la pluie » (quel titre magnifique !) nous invite à suivre. Nous partons avec lui, du berceau à la tombe d’Ubac, splendide bouvier bernois. Les balades folles dans les Alpes, les visites rassurantes puis de moins en moins chez le vétérinaire, l’arrivée d’une compagne humaine puis de deux canines, la vie toute simple et tranquille dans cette thébaïde quasi cénobitique où s’enivrer de nature et se harasser de complicité constituent la plus impérieuse des priorités. 

Aucun instant, aucune seconde ne mérite d’être gâchée et en extraire tout le bonheur du monde s’inscrit dans un ensemble sensoriel dont l’animal est le moteur, le cœur en fusion. C’est avec beaucoup de philosophie et même d’humour que sont projetées toutes ces belles théories qui font de l’homme flanqué d’un animal un être à part, un être de toute évidence plus alerte à affronter la vie et ses vicissitudes. Viscéralement attaché à son chien, le romancier se fait parfois essayiste et c’est un authentique traité de tolérance, d’humanité et d’amour qu’il déploie tout au long de ces presque trois cents pages. Jamais polémiste (même s’il y avait de quoi), toujours à extraire de ce si étroit compagnonnage une leçon de vie et de savoir-vivre, l’auteur, au nom de tous les chiens, qu’ils s’appellent Ubac ou Scooby, Taïna ou Corniche, Toutouille ou Louloune,  Linka ou Cybèle, prénoms et surnoms confondus, nous embarque dans un voyage vers un monde presque parallèle où le personnage principal est ce « quadripède qui nous fait tenir debout ». 

Franck BORTELLE

« Son odeur après la pluie », de Cédric Sapin-Defour aux éditions Stock

QUELQUES EXTRAITS

« Avec Ubac, nous croisons beaucoup d’autres chiens équipés de leurs maîtres. Je me demande à chaque fois comment ils s’aiment, s’il se parlent et s’ils sont convaincus, eux aussi, que leur histoire est par elle autre égalée ».

« Vivre avec un chien vous initie aux objections silencieuses et je crois que j’envie ce confort muet de ne pas avoir à répondre à tout ».

« Le coeur d’un chien ne monte pas en puissance, il est en haut, gonflé, tout de suite et toujours, il y a l’amour dès le réveil, c’est cette pleine vitalité qui sans doute l’épuise et raccourcit son passage. On pourrait se dire que la gaieté lui est facile, d’inquiétudes et d’exigences il n ‘en a pas, c’est bien peu considérer la force morale des bêtes ».

« Je le photographie sous toutes les coutures. Je me demande souvent à quoi bon, jamais l’à-plat d’une photo n’égalera les envolées du réel, mais quoi d’autre que ces bouts de papier satiné pour un jour en attiser le souvenir. Et j’écris sur lui. Un peu tous les jours puis aux grandes rencontres. Juste ce qui’l faut. Ne pas le faire, ce ne serait que vivre. Et trop de lignes, oublier de s’y consacrer ».

« Je n’ai toujours pas compris cette sentence classique des couples aux enfants jolis et à la pelouse bien tondue : « Ne manque plus qu’un chien », récitent-ils comme si sa présence était l’utile accessoire d’une vie ordonnée ». Car en vérité, c’est bien l’inverse sa venue dérange tout ».

« La compagnie d’un chien ne rend rien excessif, ni le temps ni l’espace. Ce n’est même pas histoire de le passer le temps, c’est d’en être ».

« Les rares instant où il n’est pas là, à mes côtés, cette question revient : mais où est Ubac ? Aux yeux de mon petite monde, nous formons une dyade, un organisme vivant, ni lui ni moi mais fait des deux. Je n’ai je crois, jamais passé autant de temps avec un même être. Lorsque je marche, nous marchons. Lorsqu’il s’arrête, je m’arrête ».

« Qui un jour, depuis sa chaire vermoulue, a décrété que l’animal était à ce point distant de l’homme, démuni de ci, de ça, d’émoi, d’exaltation ou d’un autre de nos sensibles monopoles et que tout rapprochement était sot ? L’homme pardi. Eriger la toise, se dire le plus grand, voilà un aux règles bien pipées ».

« Le petit monde autour s’est fait à nous de la sorte ; nous sommes « les deux, tu sais les deux avec les trois chiens » et cette définition nous convient car il nous semble qu’elle n’efface rien de la vie ni ne la remplace, au contraire, elle la granule aspérités qui harponnent tout ce qui passe autour d’elles dont cette chose indéfinissable qu’on appelle le bonheur ».

« La seule scission du temps j’étais déjà conscient est qu’il y avait eu avant Ubac et désormais Ubac ; l’amour, ça coupe la vie en deux ».

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