DE L’AMOUR…

Projeté vendredi 17 janvier en avant-première dans la salle comble du tout nouvel auditorium de l’Institut français du Togo, le film d’Emmanuelle Sodji a récolté ce qu’il a semé : des vagues d’enthousiasme et des salves d’applaudissements amplement méritées. Etait présent également le couple du film et dont le discours, comme une continuité aux images, a pris les tournures d’une belle leçon d’humilité et d’amour. Un film qu’on espère voir sur les écrans mais aussi dans toutes les écoles.

Séda et Tiyéda se sont connus à l’époque où les amours se défont aussi vite qu’elles se font, cette période bénite où l’âge adulte est reculé grâce aux études universitaires. Sauf qu’eux se sont de suite compris, entraidés, entendus. Puis un jour, il décide de retourner au village où survivent quelques âmes sur des terres frappées de sécheresse et de fatalité mystique. Rien ne pousse, l’eau y est plus que rare. La désolation à son acmé. Peu décidé à s’en laisser conter, il va transformer les choses. Transformer : le maître mot de ce documentaire puissant. Changer la forme. Conjurer la fatalité, la faire taire et semer du renouveau sur les bases d’un existant. L’équation est simple : muer le négatif en positif. Faire basculer le désespoir en espoir, l’aridité en fertilité, le désert en forêt, le chômage en travail, le pire en meilleur, abjurer une croyance pour croire en autre chose. Pendant quatre ans, célibataire géographique, il murit son projet. Puis madame quitte son poste d’enseignante à l’université de Lomé et part le rejoindre.

Effort, travail, acharnement, abnégation.

Ces deux anciens universitaires, quarante ans durant, vont rendre sa vie à ce village. Sa vie et sa dignité. Mais en bons pédagogues que les études n’ont pas éloignés de ce que leur ont enseigné leurs devanciers, ils vont, après avoir transformé, transmettre. Convoquer « le passé qui instruit le présent et propose le futur » (Séda Bawiena). Ainsi va naître l’école qui formera les générations futures aux métiers de la terre.

« Les Sentinelles de la terre » (quel beau titre !) est une oeuvre multiple, en plus d’être magnifiquement filmée, entre intimisme des plans serrés et sublimation des décors à travers les plans larges et aériens (le travail du chef opérateur frappe dès les premiers instants). Si, bien sûr, les thèmes du développement durable, de l’éco responsabilité, de l’écologie, de l’agriculture bio y occupent une place de choix, ils ne seraient rien sans la soif de connaissance (lire pour mieux ensuite écrire), la volonté de s’instruire pour mieux transmettre ensuite, le partage, l’abnégation et le travail. Toute une philosophie où la nature s’impose comme le personnage principal, où la terre, cette éternelle féconde « sans jamais se lasser, répare la mort » (1) en transformant les déchets en humus.

Ecouter cet homme et cette femme parler, avec toute l’humilité qui les caractérise, c’est ce que propose Emmanuelle Sodji qui a préféré s’effacer et ne pas intervenir vocalement. Ainsi découvre-t-on un couple uni dans la même philosophie de la vie, la même vision des choses, la même énergie à accomplir simplement de grands projets. Filmés avec beaucoup de respect et une caméra qui les laisse s’exprimer, ils dévoilent ce qu’il y a de plus fort dans un couple et ce qui le cimente aussi solidement que la terre d’une termitière pour des blocs de pierre destinés à construire une retenue d’eau : l’amour. Car oui, c’est aussi une belle histoire d’amour que raconte la cinéaste qui est également journaliste : l’amour d’un homme et d’une femme, l’amour d’un métier, l’amour de la nature, l’amour de la vie tout simplement. Et si aujourd’hui, leur réussite éclatante ne fait plus aucun doute, c’est qu’ils ont su faire leur la célèbre formule de René Char « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront ».

Un accueil plus que chaleureux

La salle de l’auditorium était pleine à craquer, ce vendredi 17 janvier, pour accueillir la cinéaste, le couple Bawiena et quelques techniciens et enseignants. Après des applaudissements nourris, le jeu des questions réponses, animé par Israël Tounou qu’on ne présente plus, a permis d’assister à un débat vivant au cours duquel les deux protagonistes, dans la continuité de leurs mots dans le film, ont offert une belle leçon de vie et de courage. Comme une bouffée d’air pur au milieu de nos atmosphères viciés, comme une ode à la consommation saine dans nos existences saturées de chimie.

(1) formule d’Emile Zola dans « Le Ventre de Paris »

Franck BORTELLE

Les Sentinelles de la Terre, d’Emmanuelle Sodji. Durée : 55 minutes

Documentaire écologique et social avec Séda et Tiyéda Bawiena

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