MERCI BLIER !

Celui qu’on considérait surtout comme un scénariste et dialoguiste, mais dont les mises en scène révélaient une véritable grammaire cinématographique notamment dans sa manière unique à gérer les espaces, a tiré sa révérence ce 20 janvier. Il avait 85 ans et laisse derrière lui une œuvre riche de bons mots et de phrases désormais cultes. Et de duos à trois…
Il faisait valser les mots comme personne, capable de démarrer une réplique par « je vais t’enculer » et l’achever par « j’en fais un bouquet de fleurs ». La verve féconde et la poésie roturière mais aussi une certaine aristocratie du désespoir. « Elle a quoi mon âme ?» demandait Bob (Gérard Depardieu) à Antoine (Michel Blanc) dans « Tenue de soirée ». Réponse de celui que Monique (Miou-Miou) dézingue quelques minutes plutôt en le traitant de cloche et de « malédiction ambulante » : elle est noire !
Si le cinéaste Blier a dans son cinéma su jongler avec les couleurs, le blanc immaculé de la neige dans « La femme de mon pote » ou les orangés van goghiens de la Provence dans « Le Bruit des glaçons », le rouge sang des lieux interlopes dans « Combien tu m’aimes » ou encore ces éclairages bleutés quasi fantasmatiques dans « Trop belle pour toi », le scénariste Blier a plus souvent teinté ses histoires d’une noirceur totale. La mort, petite ou définitive, côtoie la neurasthénie, la désillusion, l’ennui, le désœuvrement sans épargner quiconque, toutes couches sociétales confondues. Alors que Jeanne Moreau se tire une balle dans le vagin comme pour mieux tuer la matrice à faire des imbéciles dans « Les Valseuses », Patrick Dewaere s’emmerde devant un piano que personne n’écoute et devient la victime d’une gamine de 15 ans juste après la mort de sa femme dans un accident de bagnole. Alors que le comptable à tête de comptable Michel Serrault se vide de son sang dans un couloir du métro dans « Buffet froid », Jean-Pierre Marielle et Caroline Sihol se voient partouzant avec Depardieu, Miou-Miou et Blanc qui se sont introduits chez eux « risquant leur vie pour leur voler leur ennui » dans « Tenue de soirée ».
MISOGYNE ?
On l’a souvent taxé de misogynie, Blier. Souvent parce qu’il montre une image qui peut sembler dégradante de la femme, que ce soit dans « Les Valseuses », « Calmos » ou « Tenue de soirée ». Soit des salopes, soit des frigides. Pas de demi-mesure. Ca brûle ou ça glace mais il n’aime pas le mec qui commande un pot d’eau chaude comme s’il voulait un pot d’eau tiède (Marielle dans « Les Acteurs »). Mais à bien y regarder, les femmes chez Blier ne réagissent jamais que par rapport aux comportements des mecs. Plus encore que chez Claude Sautet, ils sont souvent lâches (Maurice Ronet dans « Beau père »), velléitaires, hésitants, emmerdeurs parce qu’ils s’emmerdent (« Les Côtelettes » et cette entrée en matière de Bouquet chez Noiret : « Bonjour je suis venu pour vous faire chier »), des pauvres types noyant leur mal existentiel dans l’alcool (« Notre histoire »), des fanfarons pas suffisamment couillus pour que leurs fanfaronnades fassent vibrer les meufs (« Les Valseuses »). Leur monde est tout petit comme cet appartement glauquissime où Blier, le père, commissaire de son état se fait cuire une boite de conserve sur un minable réchaud ou comme cette caravane où Michel Blanc fait dormir celle à qui il ose susurrer un « Mais moi je t’aime » après qu’elle lui a défoncé la tronche de toute sa rancœur accumulée.
Non, Blier n’était pas misogyne : il avait simplement contre la gent humaine un regard lucide. De cette lucidité qui peut faire les aigris mais que lui a su transformer en éclats de rires comme si le désespoir se parait d’un nez de clown. Un rire qui s’est fait de plus en plus sardonique et grinçant. Et si sa chère et tendre Anouk Grinberg, dans un de ses plus beaux rôles (« Mon Homme ») peut paraître totalement avilie par le scénariste, n’oublions pas qu’elle est celle qui va sortir un clochard du caniveau. Les femmes chez Blier ont des rêves que les types sur lesquels elles tombent sont incapables d’assouvir. Naïves parfois, rarement manipulatrices mais toujours victimes de ces bougres de mecs… Et si autant de grandes comédiennes lui ont dit oui et auxquelles il a offert de si beaux rôles parfois récompensés (Carole Bouquet, Anne Alvaro), ce n’est probablement pas par masochisme…
Fait chier, la mort !
Merci Blier !!!!
Franck BORTELLE

REPERES BIO-FILMOGRAPHIQUES
Bertrand Blier était né en 1939. Fils du grand comédien Bernard Blier, il côtoie très vite les milieux du cinéma et plus particulièrement celui de Michel Audiard, immense dialoguiste qui l’inspirera dans ses futurs films.
Parmi ces oeuvres marquantes : « Les Valseuses » (1973) d’après son propre roman et qui fit scandale, « Préparez vos mouchoirs » (1978) récompensé pour le meilleur film étranger lors de la 51ème cérémonie des Oscars, « Buffet froid » (1979) qui fera un bide avant de devenir un de ses films les plus cultes, « Beau père » (1981) qui offre à Patrick Dewaere un de ses plus beaux rôles, « Notre histoire »(1984) qui permet à Alain Delon de récolter le César du meilleur acteur l’année suivante, « Tenue de soirée » (1986) récompensé par le prix d’interprétation masculine pour Michel Blanc, « Trop belle pour toi » (1989) qui repartira auréolé de cinq Césars, « Mon homme » (1996) avec celle qui partage sa vie à cette époque, Anouk Grinberg, « Le Bruit des Glaçons » (2010) où Albert Dupontel joue le rôle du cancer de Jean Dujardin et vaut à Anne Alvaro un César du second rôle féminin.
Photo du haut : Bertrand Blier lors des obsèques d’Alain Corneau
Photo du bas : Bertrand Blier en compagnie d’une de ses comédiennes fétiches, Myriam Boyer lors des obsèques d’Alain Corneau.