RIRES, DOULEURS ET POÉSIE

Un numéro de cirque mêlé à un texte fort sur un sujet tabou (les menstrues) comme pour mieux en dédramatiser la réalité : telle est la proposition émise par ce spectacle que défendent avec ferveur deux magnifiques comédiennes dont l’implication va bien au-delà de la scène. Une réussite incontestable.
A l’issue de la représentation de ce mercredi 13 décembre à la maison des Jeunes d’Amadahomé, au cours du débat, un spectateur africain, après avoir évoqué le décor en forme de vagin, s’est excusé d’avoir prononcé ce mot. Quand l’anecdotique traduit un malaise endémique… Quand « le plus bel apanage » (1) ainsi que Georges Brassens définissait le sexe de la femme, quand la « divine échancrure sous votre toiture de satin frisé » (2) sous la plume de Pierre Perret devient un mot qu’on n’ose prononcer car revêtant les atours d’une insulte… Que dire alors de ce sang jugé impur qui en sort « Douze fois par an » comme le chante Jeanne Cherhal (3) ?
Douze fois par an ou 450 fois dans une vie. Soit 2500 jours et nuits… 7 ans. 7 ans de ce phénomène naturel et physiologique qu’on a affublé de tous les sobriquets possibles comme pour mieux s’éviter d’en prononcer le nom scientifique : les menstrues ou les règles.

OSER GAINSBOURG
C’est de ce décompte dont il est question dans ce spectacle qui brille par toutes ses audaces. Les premiers instants résonnent du phénoménal tube de Serge Gainsbourg « Love on the beat », véritable ode à l’acte sexuel de plus de huit minutes. « Ajouter de l’audace à l’audace » nous dira le metteur en scène suite à la question d’un spectateur français… Audace du sujet mais aussi du texte de Carmen Toudonou, magnifique, qui décortique dans les moindres détails les affres de ce rendez-vous mens(tr)uel que vivent toutes les femmes avec leur intimité et dont il leur est si difficile de parler. Honte, rejet, lazzis et quolibets, harangues : bien souvent le seul retour que reçoivent les jeunes filles lors de leurs premières règles. C’est sur cette toute première fois que s’appuie le texte pour en capter le désordre intérieur qui s’opère dans le corps mais aussi dans la tête d’une adolescente. Sensation qu’elle va mourir, se vider de son sang et que par conséquent, rien ni personne ne peut plus quoi que ce soit pour elle, pas plus la société que sa propre mère, totalement désarmée.

DEUX DRÔLES DE CLOWNS
Pour faire passer le message sur la nécessité de parler de ce sujet, pour également le dédramatiser, Achile Senifa a opté pour une mise en scène empruntant au théâtre de clowns. Cet apport de facéties inhérentes au genre, de couleurs très vives tant au niveau des costumes que des maquillages va hisser le texte hérissé de formules claquantes et d’excellentes répliques vers des sommets de drôlerie mais aussi d’émotions et de poésie. Car le clown peut aussi être triste…
Le défi était particulièrement casse-gueule. Une chanson à la limite du porno, un texte qui ne prend pas vraiment des pincettes pour un sujet encore tabou en Afrique, un décor en forme de vagin de deux mètres de haut : savoir oser mais surtout savoir doser… La réussite est totale de ce côté-là et si la scénographie et la mise en scène très énergiques y sont pour beaucoup, rendons surtout à ces deux magnifiques comédiennes, Ornela Fagnon et Sidoine Agoua, viscéralement habitées par leur personnage, la part essentielle qu’elles apportent à ce succès. Et le débat qui a suivi a mis en lumière leur engagement en dehors de la scène à ce projet hautement recommandable et pédagogique. Chapeau, les filles !
Franck BORTELLE
(1) Chanson « Le blason » de Georges Brassens
(2) Chanson « Celui d’Alice » de Pierre Perret
(3) Chanson « Douze fois par an » de Jeanne Cherhal
Écriture : Carmen Toudonou
Mise en scène et scénographie : Achille SENIFA
Interprété par : Ornela Fagnon et Sidoine Agoua
Régie lumière : Abdoul Babanama
Costume : Eminence Hongbete


