
UN ILÔT D’ORIGINALITÉ DANS UN OCÉAN DE BANALITÉS
Tant dans la forme que dans le fond, Babacar Cissé déçoit avec cet enchevêtrement de poncifs malgré une indéniable bonne volonté et une idée de départ respectable. L’ensemble s’enlise dans le convenu et les longueurs. Au final un spectacle à revoir de fond en comble. Une seule très bonne idée ne sauve pas ce ratage qui mange à tous les râteliers et dont même le fond laisse sceptique…
Un homme déboule sur la scène, capote de soldats sur le dos et casque lourd sur la tête. C’est la guerre. Une guerre qui n’est pas la sienne. Enrôlé de force comme tant d’Africains qu’on a regroupés sous l’appellation de « contingent des tirailleurs sénégalais ». Son fusil à la main, il nous adresse la parole pour nous expliquer ce qu’on sait déjà, Mathieu Vadepied avec son récent « Tirailleurs » et les livres d’histoire nous l’ayant déjà raconté. Déjà vu, déjà entendu, fermez le ban.
C’est engoncé dans un bleu de travail que surgit du fond de la scène un ouvrier modèle, africain. Il prend lui aussi cette parole qu’on ne lui a pas si souvent accordée. Il a franchi la mer dans les années 70-80 et est venu « de son plein gré vider les poubelles à Paris » (comme le chantait Pierre Perret dans « Lily ». Paris, la ville où tout est possible, même le pire. Même se tuer au travail. Rien de bien nouveau dans tout cela. Le cinéma, jusqu’au récent « Histoire de Souleymane », compte des dizaines de films sur le sujet.
Nous arrivons aux années 2000. Tout a changé, même le siècle, même le millénaire. Un homme danse, vit de sa passion, l’assouvit à s’en faire craquer les articulations. Encore une douleur… Mais fort heureusement, sa fille, celle qui va probablement reprendre le flambeau, exécute déjà ses premiers pas… La relève est assurée.

Et la danse dans tout ça ?
Comment un chorégraphe de renom et un danseur de la qualité de Babacar Cissé peut-il nous proposer un tel spectacle où la danse n’occupe finalement que la partie congrue, bouffé par des vidéos à l’image dégueulasse et des textes sans la moindre originalité ? On ne renie bien évidemment pas la nécessité d’évoquer l’histoire, de faire parler ceux qu’on a si souvent intimés de se taire. Bien sûr, le devoir de mémoire, tant pour le grand-père (le spectacle est totalement autobiographique) que le père qui s’est tapé en France les sales boulots que les Hexagonaux refusaient déjà de faire car trop dégradants et fatigants. Mais pourquoi avoir tant voulu parler au lieu de danser ? Pourquoi avoir parasité autant l’espace scénique de ces images interminables ? Une interview de sa fille dont on a bien compris qu’elle était la prunelle de ses yeux (et tant mieux, il y a tellement de gamins qui n’ont pas cette chance), n’apporte rien et fait sombrer le spectacle dans une écoeurante facilité à émouvoir. Cissé semble tout simplement s’être trompé de spectacle et nous inflige un pensum sans intérêt et sans originalité (la seule véritable idée de mise en scène consistant à l’utilisation astucieuse de micros pour signifier les bruits d’un corps qui s’abime…).

On peut aussi se questionner sur la pertinence d’avoir mis sur un même pied d’égalité les douleurs des trois personnages principaux. La douleur de l’homme qui sait qu’il peut mourir à tout moment à la guerre, celle de l’ouvrier qui s’est battu pour un peu de dignité en se tuant au boulot sont-elles à mettre au même niveau que celles, articulaires et organiques, d’un homme qui assouvit sa passion ? Pas sûr que si le grand-père avait vu ce spectacle, il ne serait pas monté sur la scène pour coller à son petit-fils une grande claque dans la figure en lui faisant comprendre qu’il faut aussi apprendre à relativiser dans la vie… Hélas, la nuance n’est pas le point fort de ce spectacle long, balisé comme une autoroute et truffé de poncifs. Et ce n’est pas cette allégorie avec le papillon (la chrysalide etc.) qui va apporter une quelconque légèreté à l’ensemble…
Franck BORTELLE
« La dernière danse du monarque » de et avec Babacar Cissé a été joué le 8 mars à l’Institut français du Togo.

