
DES FILMS COMME S’IL EN PLEUVAIT
C’est le Goethe Institut, autre haut lieu de la culture loméenne, qui a accueilli le lundi 6 novembre la 10ème édition du festival Emergence pour une projection de courts-métrages. Des dizaines de cinéphiles avaient répondu à l’appel de ce « match » Togo-Côte d’Ivoire. Malgré une météo plus que capricieuse, personne n’a déchanté sous la pluie et patiemment, les gens ont attendu que cesse l’orage pour reprendre le cours des choses. A l’applaudimètre, le pays invité aura aisément décroché la timbale. Amplement justifié pour certains films, véritables petits bijoux…
C’est un match sans effusion de sang ni hooliganisme qui s’est joué amicalement lundi 6 novembre dans le cadre de la 10ème édition du festival « Emergence » au Goethe Institut. Les 11 films projetés étaient soit du pays d’accueil, soit de celui invité. L’avantage de jouer à domicile n’a pas vraiment fonctionné puisque les extérieurs ont largement remporté la mise à l’applaudimètre. Petit tour d’horizon de ces 11 œuvres dont la projection a été interrompue face au déchainement des éléments. Mais la pluie n’a pas découragé les spectateurs qui sont majoritairement restés jusqu’à une heure avancée pour encourager leurs favoris…
APPARTMER de Justin KPATCHAA (Togo) : Une maison en bordure d’océan. Abandonnée à cause de l’érosion. Son propriétaire raconte la vie de ce lieu et fait du bâtiment le personnage principal de son histoire. Plans rapprochés comme pour filmer les parties d’un corps au départ, plans généraux au final pour montrer toute l’étendue des dégâts de ce désastre écologique. Déjà primé récemment, ce très beau film qui humanise un lieu comme on le ferait d’un SDF pour en montrer toute la déréliction fait preuve de beaucoup d’originalité dans ce combat que mène l’homme face aux éléments, comme en atteste ce plan où se superposent les images de la mer et du bâtiment. Un candidat très sérieux pour le palmarès.
DJEYNA d’Estelle Agbegninou (Togo) : Djeyna découvre du sang dans ses draps un matin. Haranguée par ses camarades de classe, elle finit par se confier à une amie qui lui explique ces choses de la vie que sont les règles, sujet tabou chez elle. Sa virginité attire les milieux de la prostitution où elle sera enrôlée presque de force. Même si la rupture de ton entre la découverte des menstrues et la prostitution n’est pas amenée avec une grande finesse et qu’on peut même se demander le vrai lien de causalité (les vierges ne finissent pas toutes putes, fort heureusement), voilà un film qui a le mérite de mettre en garde contre certaines pratiques dont les auteurs jouent en profitant de l’innocence. Avec des conséquences dramatiques parfois. Un sujet fort traité maladroitement et avec une interprétation assez moyenne.
CENTRE D’ESPOIR de Muriel Yohou (Côte d’Ivoire) : La vie d’un centre d’accueil pour les malades du sida, les toxicos et dont les membres sont d’anciens drogués. Un excellent documentaire qui cerne à la fois l’activité du lieu mais aussi ses limites lorsque la bonne volonté se heurte à des problèmes financiers et logistiques. Sans le moindre misérabilisme, la cinéaste offre une belle tranche d’humanisme avec l’espoir au centre de son propos.
VICTIME DU CHOIX de Halali N’KOUAKO (Togo) : Un jeune sort de prison et se pointe chez son vieux qui l’envoie balader. Il se réfugie chez un ami dont la mère l’envoie balader. De balade en balade, il se retrouve chez les malfrats qu’il connaît bien et en train de préparer un coup. Pas de bol, déboule la police armée jusqu’aux dents. Ce fut le moment détente de la soirée, celui où l’on n’a plus qu’à rire, à se lâcher, à manger un morceau qu’on partage avec son voisin entre deux remarques sur ce qu’on a vu ou cru voir sans trop y croire. On ne tire pas sur une ambulance, dit-on. Sauf que l’ambulance arrive déjà criblée de balles. On cherche désespérément quelque chose à sauver. Rien. Ni le « sénario » tel qu’écrit à deux reprises dans les génériques, ni la réalisation, ni le montage sonore. Rien. Un comédien au charisme indéniable mais qui aurait sérieusement besoin d’apprendre son métier. Tout le monde n’est pas fait pour le cinéma. A moins que ne soit créé le prix du film ayant provoqué le plus de rires non voulus…
LA CONFESSION d’Innocent Toklo (Togo) : Une gamine est violée et assassinée. Quelques temps après, son frère se vengera et, bourré de remord, ira se confesser de ses actes. On navigue entre « L’Auberge rouge » de Claude Autant-Lara (d’après Balzac) qui évoque le secret de la confession et « Crime et châtiment » de Dostoïevski, œuvre complexe sur le remords. Un sujet fort et fort bien mené notamment par le comédien principal qui convainc dans un rôle difficile. Une belle réussite.
LE REALISATEUR de Narcisse Afeli (Côte d’Ivoire) : Un SDF s’introduit dans l’appartement d’une jeune bourgeoise en son absence pour simplement profiter de son confort et du contenu de son frigo. A la troisième intrusion, les choses tournent mal et la police l’arrête pour le mettre en asile. Les meilleurs courts-métrages sont forcément les plus courts… Voilà un film bourré d’imagination, très bien écrit mais où toutes les clés ne sont pas données au niveau de la mise en scène. Difficile de trouver seul la serrure… Ramené à 15 minutes grand maximum, ce film serait un des meilleurs de la sélection, d’autant que l’interprétation est tout simplement grandiose.
NOS PEINES LEURS PLAISIRS de Aimé Sohlo (Togo) : A travers une émission télé « Brisons le silence », le destin de deux jeunes femmes qui ont vécu des violences conjugales. Un sujet fort déjà présent dans le programme du festival mais traité tout à fait différemment. L’excellente idée d’avoir présenté ce fléau social par le biais de la presse télévisuelle va permettre de jouer sur des flashbacks et insuffler de l’espoir dans l’avancée des prises de conscience. Doté d’un dialogue bien écrit, ce film pourrait bien créer la surprise au palmarès…
TALAWOE de Nedem Malm (Togo) : Un adolescent bien sous tous rapports commence à déconner sans que son père ne parvienne à comprendre ce qui lui arrive. Un film de très belle facture sur le deuil et l’absence avec les déflagrations que cela peut avoir sur un être rendu vulnérable par les questionnements liés à son entrée dans le monde des adultes. Du beau travail.
TI-KI SSAN MAN de Jean-Philippe Kie Koua (Côte d’Ivoire) : Une grand-mère et sa petite-fille, leur relation fusionnelle jusqu’au jour où une chute de l’aïeule lui occasionne de sérieux troubles de la mémoire. La petite va tenter de retrouver celle qui fut sa partenaire de jeu préférée. Un film magnifique sur la famille mais au-delà de ça une belle leçon sur ce que peut être la cohabitation inter générationnelle sans conflit. Avec des images d’animation d’une époustoufflante beauté. Un vrai coup de coeur pour ce film qui touche sans chercher à faire sortir les Kleenex.
VICES de Fulbert Konan Kan (Côte d’Ivoire) : Un jeune vient de réussir son concours d’entrée à la police et part chez sa nièce pour fêter ça. Cette dernière est mariée à un dealer violent qui n’entend pas laisser le jeune homme approcher son épouse. Un film très fort sur les violences conjugales et les déflagrations qu’elles peuvent occasionner. Soutenu par une interprétation très convaincante, le cinéaste filme la peur sans concession, cette peur qui fait faire l’inverse de ce qu’il faudrait, cette peur culpabilisante qui paralysent les innocents.

En attendant la fin de l’orage…