
AUX MARCHES DU PALAIS
C’est dans les somptueux jardins du Palais de Lomé que s’est déroulée la projection de 13 courts-métrages dimanche soir dans le cadre de la 10ème édition du Festival ÉMERGENCES. Après une visite guidée du Palais, la place a été donnée au cinéma. Force est de constater que le niveau est bien supérieur à celui de l’an passé. Prometteur, tout ça.
Le Palais de Lomé, lieu de la culture locale qui mériterait d’être plus souvent cité dans la presse togolaise, a montré dimanche 5 novembre sa pluridisciplinarité dans le domaine de la culture. Ce lieu qui accueille toutes sortes d’événements en plus des expositions permanentes et temporaires, a accepté d’ouvrir ses portes au 7ème art. Un public nombreux a saisi l’occasion de voir des films dans ce décorum pour le moins original.
Mais avant les films, la visite du Palais a permis aux visiteurs de découvrir peintures, sculptures et autres photographies de l’exposition permanente, le tout avec une équipe de guides fort disponibles.

LES FILMS
Après la projection de trois courts hors compétition, « Fils indigne » (un sujet fort mais une image assez déplorable), « Amour écolo » (un thème traité avec originalité malgré un certain manichéisme) et « Crocodiles sacrés » (documentaire sur un fétichisme inattendu), place fut donnée aux 13 films en lice pour les prix.
La surprise, la bonne, était au rendez-vous. A double titre. On remarque en effet l’imagination débordante des auteurs qui, de surcroit, se met au service de causes dont la nécessité de parler ne fait plus l’ombre d’un doute, qu’il s’agisse de l’avortement, des violences conjugales ou encore de l’autisme. De manière générale, la qualité de l’image est bonne, parfois somptueuse. Reste à peaufiner les mises en scène et surtout les interprétations qui demeurent souvent en-dessous de ce que méritent ces films.
Voici en quelques mots l’impression de la rédaction sur ces treize oeuvres.
A MOITIÉ D’ÂME de Marwen Trabelsi (Tunisie) : Mis de force à la retraite, un Tunisien apprend que sa fille a une tumeur qui doit être opérée. Il accepte de « vendre » son âme pour financer l’opération. Une très belle parabole cinématographique à l’image très soignée, bourrée de poésie. Des cadrages audacieux, de très beaux plans et la valeur symbolique des couleurs fort bien utilisée (les hommes en rouge) font de cette oeuvre forte un candidat sérieux pour les prix.
AU FIL DU TEMPS de Gildas Dossou (Bénin) : Une gamine malade, ses parents partis travailler. Une course contre la montre car ils la sentent sur le point de mourir. Certes, le sujet peut émouvoir mais on a vu ça si souvent à commencer par la symbolique de la bougie déjà utilisée par Tolstoï dans les années 1870 pour faire mourir son héroïne Anna Karenine. Intéressant mais difficile de l’imaginer au palmarès.
CONNEXION de Amary Fall (Sénégal) : Que seront la vie et l’amour en 3010 à la vitesse où les téléphones portables ont supplanté toute relation humaine digne de ce nom ? D’un sujet éminemment original et d’actualité, le cinéaste s’est contenté de montrer des messages que s’envoient les protagonistes sur fond de la jolie petite île de N’gor, au large de Dakar. C’est hyper cheap et pourrait être en lice pour le prix du bon sujet le plus mal traité.
CORPS DE FEMME de Nelly Behanzin (Bénin) : Le sujet brûlant de l’avortement suite à la mort d’une jeune femme et pour laquelle les parents se renvoient la faute. L’énorme décalage entre la voix off et la logorrhée des témoignages (avec des sous-titres beaucoup trop longs) finit par lasser. Dommage pour un sujet aussi fort.
DOUBLE JE de Providence Lauren Sanou (Burkina Faso) : Encore un thème dont on parle fort heureusement de plus en plus en Afrique, les femmes battues. L’originalité du sujet tient essentiellement dans l’évocation du déterminisme qui pèse sur l’enfant qui voit son père agir ainsi et démembre les jouets de sa soeur. De bonnes idées mais une image médiocre. La cinéaste nous a toutefois assuré que c’est la version de travail de son film et non la définitive qui avait été montrée. Par erreur.
DR BEN de M. Hodary (Comores) : Un toubib à Moroni soigne le maire de la ville mais ce dernier succombe d’une leucémie mais aussi d’un protocole médicamenteux qui n’aurait jamais dû lui être administré. Un film lourdingue et saturé d’effets sonores. Un sujet, à l’image du malade du film, qui n’a pas subi le meilleur des traitements… Dommage.
UMOJA de Elom 20ce : Des clips de rap. On se demande ce que tout ça vient faire dans un tel festival. Aucun intérêt.
MIROIRS de Urielle Mekô-Nsi (Cameroun) : Se regarder dans la glace jusqu’à l’user mais surtout y voir quoi ? Comme disait Cocteau « Les miroirs feraient bien de réfléchir avant de nous renvoyer notre image ». Et le miroir de l’âme dans tout ça ? Ce joli film nous propose une réflexion bien menée sur la question de l’apparence, la beauté. Celle qu’on voit et celle qui se fait plus discrète.
MUTILEES de Thiam Yessoufou (Bénin) : Un homme dont la femme trop occupée à son travail va chercher ses besoins de libido chez la jeune fille qui vit sous son toit. La pédophilie, sujet éminemment d’actualité, n’est malheureusement pas traitée avec panache dans ce film plutôt médiocre tant dans la mise en scène que le scénario.
SHADI, LA BEAUTE DANS LA MAIN de Dieudonné Maye (Congo) : Shadi est belle comme un soleil, sexy, souriante. Tout ce qu’il faut pour devenir la parfaite hôtesse d’accueil ou secrétaire de direction. Elle a choisi pourtant la menuiserie. Un magnifique documentaire sur la féminisation des métiers, sujet dont on commence à bien parler en Afrique. Cette menuisière qui parle fort bien de son métier et sans langue de bois est notre coup de cœur documentaire.
SOULEYMANE de Aloïs Agboglo (Bénin) : le film d’animation de la soirée avec ce gamin qui se voit dans l’un de ces héros en « man ». Un graphisme chatoyant et un sujet bien traité. Une vraie réussite made in Africa qui prouve que cette discipline exigeante du dessin animé pourrait bien un jour faire la nique aux productions US.
TIMIS de Awar Moctar Gueye (Sénégal) : une gamine veut devenir cheffe de bande mais ses copains la mettent à l’épreuve. Une histoire de djinns magnifiquement mise en image grâce à une direction photo impeccable.
YADIKOON, LE PETIT PRINCE de Mohamed Diao (Sénégal) : Encore un sujet, l’autisme, dont on commence à parler en Afrique. Une mère élève seule son fils soufrant de « troubles du comportement » selon la formule consacrée. Une rencontre va changer sa vie. Un film magnifique et bouleversant sur le droit à la différence et la triste réalité de ces enfants pas comme les autres. Notre coup de cœur fiction.
Franck BORTELLE