DU TRÈS BEL OUVRAGE

Une projection dans une salle pas vraiment bondée et en présence essentiellement des équipes des films montrés. Dommage qu’une présentation un peu plus soignée n’ait pas été au rendez-vous pour calquer la qualité assez exceptionnelle des œuvres présentées. 

C’était la dernière ligne droite avant le palmarès. Une projection des tout derniers films présentés dans le cadre de cette 10ème édition du festival Emergence dont on peut déjà dire qu’elle aura marqué un tournant dans son histoire par la qualité des films proposés. 10 ans, c’est encore jeune et on ne peut que se réjouir devant les perspectives d’améliorations qui s’ouvrent pour les prochaines années car viser le mieux c’est bien, mais c’est toujours mieux de viser le meilleur. Et assurément, les cinéastes qui nous auront tant fait vibrer durant ces journées n’entendent par rester à un simple « mieux »…

Un tour d’horizon sur les films présentés au Canal Olympia de Godope ce 8 novembre au matin. 

ATROCE de Junior Kapinga (RDC) : Un homme apprend que sa femme le trompe. Il rentre chez lui et la poignarde à mort. A-t-il tué la « bonne » personne ? Voilà un cinéaste qui fait confiance à la qualité de ses images et il a raison. Très bien filmé, avec des cadrages qui insufflent toute l’atrocité du drame qui se joue, Kapinga nous fait un peu du Cronenberg (il y a pire comme référence) en évitant une surenchère de dialogue, laissant plutôt la place à la musique pour flirter avec l’opéra macabre. Une belle réussite. Un seul bémol : la chanson du générique de fin est plus que dispensable…

COÛT DE FIL de Victorine Aglago (Togo) : De jeunes filles sont enrôlées et enrôlent sous la contrainte leurs proches dans un macabre trafic qui met en péril leur intégrité physique et même leur existence. Un des uppercuts de ce festival, ce film qui porte fièrement les couleurs du Togo fait montre d’un courage remarquable en abordant un thème dont on connaît la prégnance en Afrique mais que le cinéma évoque assez rarement. A voir donc. Et à récompenser…

DOOMU YAYAAM d’Adama Diop (Sénégal) : Des femmes sont en train de discuter autour d’une morte tout en lui faisant sa toilette mortuaire. Les langues commencent par se délier sur la défunte jusqu’au moment où intervient la mère dont le chagrin va s’avérer communicatif. Filmé en total huis clos, le film d’Adama Diop est une succession de plans très rapprochés créant à la fois une proximité quasi claustrophobe  et une intimité  qui peut déranger car faisant de nous des voyeurs d’un spectacle peu courant au cinéma. Pas reluisant d’un point de vue de la sincérité des rapports humains mais esthétiquement parlant, c’est du très bel ouvrage, audacieux et franc. 

INDÉLÉBILE de Francky Tohouegnon (Bénin) : Le cinéaste part de sa passion dévorante pour son art pour bifurquer, au nom de la nécessité de s’intéresser à tous les arts, vers la danse. Grâce à des intervenants qui ont vraiment des choses passionnantes à dire, ce documentaire circonscrit parfaitement le thème de la danse contemporaine et la liberté qu’elle procure à ses artistes. Dommage que le discours se soit contenté de mettre en corrélation la danse contemporaine avec seulement le rap et le hip hop. Elargir le spectre des styles de musiques (charleston, salsa et pourquoi pas valse et tango) aurait corroboré plus encore cette liberté tant revendiquée. Ce bémol mis à part, voilà un film très pédagogique sans être didactique et dont les numéros chorégraphiés sont somptueux. 

KULEKAN de Traore Dramane (Mali) : Bien que premier et cinquième de la classe, un frère et sa sœur sont renvoyés de l’école pour non-paiement des frais scolaires. La mère, qui vit seule avec eux, et le fils ainé vont devoir faire front pour trouver une solution, au péril d’une certaine morale. Peu représenté dans la compétition, le Mali nous aura toutefois envoyé un film d’un puissance inouïe, fort bien réalisé et doté d’une interprétation puissante. Le cinéaste nous plonge dans l’univers de la pauvreté, celle dont profite ces « voleurs en cols blancs » qui rackettent les plus faibles au point de les mener sur les pentes de l’illégalité lorsqu’ils ont tout vendu à vil prix pour une poignée de CFA. Un film d’une belle dignité, jamais misérabiliste mais qui tape là où ça fait mal. 

SUR LES TRACES DE MES ANCÊTRES de Zeinab Soumahoro (Côte d’Ivoire) : La cinéaste, descendante des guerriers Soumahoro dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire, part à leur rencontre pour mieux connaître son passé et ses origines. Visuellement, ce film est un enchantement grâce à un travail fabuleux effectué sur l’image et qui magnifie la puissance des paysages et la force des visages. A cela s’ajoute un très bel hommage à un patrimoine qu’il est urgent de maintenir vivant. Ce film, déjà primé à plusieurs reprises, pourrait ajouter une récompense à son déjà très beau palmarès. 

YARAM de Massow Ka (Sénégal) : La bande de terre nommée Langue de Barbarie au nord du Sénégal, est peuplée de pêcheurs et de leur famille. L’érosion côtière a provoqué la destruction de nombreuses maisons et le relogement d’office à plusieurs kilomètres de là de centaines de familles. Les tentes de fortune sous lesquelles règnent une chaleur accablante deviennent le lieu de vie de toutes ses femmes qui s’organisent aussi bien pour ne jamais manquer d’eau que pour assurer l’accouchement de la voisine. Un sujet bien connu au Sénégal avec cette la langue de Barbarie, haut lieu d’étape migratoire de nombreuses espèces d’oiseaux, tragiquement menacée de disparaitre sous les flots. En traitant de ce sujet, qui a même alerté certaines autorités en Europe, par le portrait d’une de ces femmes, la Yaram du titre, Massow Ka nous livre un film aussi intime qu’universel. C’est ce qui fait l’indéniable force de ce très beau documentaire.

1961 de Stella Tchuisse (Cameroun) : Une jeune femme tente de comprendre les antagonismes entre le Cameroun anglophone et le francophone. Pour ce faire, elle décortique l’histoire du pays et par à la rencontre d’étudiants. Ponctué de phrase du génial Mohamed Sarr (Prix Goncourt 2021 pour « La Secrète mémoire des hommes »), ce documentaire nous plonge autant dans la douloureuse histoire d’un pays que dans les méfaits de l’Histoire lorsque celle-ci, tronquée, amputée voire réécrite, dessert l’humanité au lieu de l’aider à avancer. En ce sens, « 1961 » s’avère un documentaire d’utilité publique car d’un sujet national, il réussit à se parer d’un message éminemment universel.

Franck BORTELLE

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *