QUE DES GAGNANTS !

C’est dans une ambiance euphorique que s’est déroulée la cérémonie de clôture de cette 10ème édition du festival Emergence de Lomé, au cinéma Canal Olympia de Godope. La qualité globale des films en compétition qui laisse augurer d’exceptionnelles futures éditions devrait consoler ceux qui sont repartis bredouilles car à un tel niveau de qualité, il n’y a plus vraiment de défaite…
Au vu des films présentés au cours de cette 10ème édition Emergence, il est clair que le cinéma de l’Afrique francophone a de beaux jours et même de belles années devant lui. Parmi la trentaine de films présentés en compétition (sur 333 films qui ont candidaté), un nombre non négligeable et surtout encourageant ont tout pour faire une carrière à l’international. D’une part grâce à leurs qualités esthétique mais également pour l’universalité de leur sujet sans qu’ils se départissent pour autant de leur africanité.
Il serait bon maintenant que l’organisation d’une telle soirée soit digne de la qualité des œuvres présentées et qu’en lieu et place d’épisodes de séries télé soient montrés des films de CINÉMA et que le palmarès ne soit pas relégué en fin de soirée car le suspense, pas très hitcocokien, finit par s’effriter tout seul. De plus, à quand des prix décernés pour les techniciens, ces artistes de l’ombre qui mettent pourtant si bien en lumière les scénarios et ceux qui les interprètent ?

LES RÉCOMPENSÉS
Le palmarès ne pouvait donc qu’être séduisant… Le voici avec pour rappels l’impression suscitée par la rédaction sur ces films.
Prix AFECIAT (Association des femmes cinéastes du Togo) : « Sur les traces de mes ancêtres : Zeynab Soumahoro » (Côte d’Ivoire)
La cinéaste, descendante des guerriers Soumahoro dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire, part à leur rencontre pour mieux connaître son passé et ses origines. Visuellement, ce film est un enchantement grâce à un travail fabuleux effectué sur l’image et qui magnifie la puissance des paysages et la force des visages. A cela s’ajoute un très bel hommage à un patrimoine qu’il est urgent de maintenir vivant. Ce film, déjà primé à plusieurs reprises, pourrait ajouter une récompense à son déjà très beau palmarès.
Prix MARBOS et Prix CONPA meilleur espoir togolais: « La Confession » d’Innocent Toklo (Togo)
Une gamine est violée et assassinée. Quelques temps après, son frère se vengera et, bourré de remord, ira se confesser de ses actes. On navigue entre « L’Auberge rouge » de Claude Autant-Lara (d’après Balzac) qui évoque le secret de la confession et « Crime et châtiment » de Dostoïevski, œuvre complexe sur le remords. Un sujet fort et fort bien mené notamment par le comédien principal qui convainc dans un rôle difficile. Une belle réussite.
Mention spéciale MONTAGE: « Zogbeto » de Mathieu Abalo (Togo)
La rédaction, prise par un autre évènement culturel sur Lomé, n’était pas à la projection de ce film.
Mention spéciale DOCUMENTAIRE : « Yaram » de Massow Ka (Sénégal)
La bande de terre nommée Langue de Barbarie au nord du Sénégal, est peuplée de pêcheurs et de leur famille. L’érosion côtière a provoqué la destruction de nombreuses maisons et le relogement d’office à plusieurs kilomètres de là de centaines de familles. Les tentes de fortune sous lesquelles règnent une chaleur accablante deviennent le lieu de vie de toutes ses femmes qui s’organisent aussi bien pour ne jamais manquer d’eau que pour assurer l’accouchement de la voisine. Un sujet bien connu au Sénégal avec cette la langue de Barbarie, haut lieu d’étape migratoire de nombreuses espèces d’oiseaux, tragiquement menacée de disparaitre sous les flots. En traitant de ce sujet, qui a même alerté certaines autorités en Europe, par le portrait d’une de ces femmes, la Yaram du titre, Massow Ka nous livre un film aussi intime qu’universel. C’est ce qui fait l’indéniable force de ce très beau documentaire.
Mention spéciale FICTION : « Le réalisateur » de Narcisse Amani (Côte d’Ivoire)
Un SDF s’introduit dans l’appartement d’une jeune bourgeoise en son absence pour simplement profiter de son confort et du contenu de son frigo. A la troisième intrusion, les choses tournent mal et la police l’arrête pour le mettre en asile. Les meilleurs courts-métrages sont forcément les plus courts… Voilà un film bourré d’imagination, très bien écrit mais où toutes les clés ne sont pas données au niveau de la mise en scène. Difficile de trouver seul la serrure… Ramené à 15 minutes grand maximum, ce film serait un des meilleurs de la sélection, d’autant que l’interprétation est tout simplement grandiose.
PRIX ÉMERGENTS
Post-production : « Ti-Ki Ssan Man » (Côte d’Ivoire) (prix doté d’une somme de 300 000 francs et d’une bourse post-production de 700 000 francs.
Une grand-mère et sa petite-fille, leur relation fusionnelle jusqu’au jour où une chute de l’aïeule lui occasionne de sérieux troubles de la mémoire. La petite va tenter de retrouver celle qui fut sa partenaire de jeu préférée. Un film magnifique sur la famille mais au-delà de ça une belle leçon sur ce que peut être la cohabitation inter générationnelle sans conflit. Avec des images d’animation d’une époustouflante beauté. Un vrai coup de cœur pour ce film qui touche sans chercher à faire sortir les Kleenex.
Documentaire : « Corps de femmes » de Nely Behanzin (Bénin) trophée + ordinateur portable d’une valeur de 500 000 francs.
Le sujet brûlant de l’avortement suite à la mort d’une jeune femme et pour laquelle les parents se renvoient la faute. L’énorme décalage entre la voix off et la logorrhée des témoignages (avec des sous-titres beaucoup trop longs) finit par lasser. Dommage pour un sujet aussi fort.
Meilleure fiction : « Timis » de Awar Moctar Gueye (Sénégal) trophée + 300 000 francs.
Une gamine veut devenir cheffe de bande mais ses copains la mettent à l’épreuve. Une histoire de djinns magnifiquement mise en image grâce à une direction photo impeccable.
Grand Prix émergence : « Doomu Yayaam » d’Adama Diop (Sénégal) 1.000.000 francs
Des femmes sont en train de discuter autour d’une morte tout en lui faisant sa toilette mortuaire. Les langues commencent par se délier sur la défunte jusqu’au moment où intervient la mère dont le chagrin va s’avérer communicatif. Filmé en total huis clos, le film d’Adama Diop est une succession de plans très rapprochés créant à la fois une proximité quasi claustrophobe et une intimité qui peut déranger car faisant de nous des voyeurs d’un spectacle peu courant au cinéma. Pas reluisant d’un point de vue de la sincérité des rapports humains mais esthétiquement parlant, c’est du très bel ouvrage, audacieux et franc.
Franck BORTELLE
Photo : Samuel CODJOVI