
SORCELLERIE ET ENVOÛTEMENTS
Parfois déconcertant car partant dans toutes les directions, ce premier film du Belgo-Congolais primé au Festival de Cannes 2023 regorge de bonnes idées et fait un sans faute au niveau de l’interprétation. Il faut simplement se laisser parfois porter sans trop chercher à tout analyser…
Koffi débarque après 15 ans d’absence dans sa famille au Congo pour y présenter sa femme enceinte de jumeaux. L’animosité de sa mère et de ses cousines va plomber l’ambiance de la remise de dot et même se transformer en quasi lynchage lorsque, saignant du nez, Koffi va souiller le visage d’un nouveau-né. S’ensuit un procès en sorcellerie…
S’il est parfois difficile de suivre les déambulations dans lesquelles nous embarque le scénario, le voyage visuel qu’offre le cinéaste s’avère d’une époustouflante beauté. On ne compte plus les plans qui subliment la beauté des visages africains et en particulier des femmes lors de séquences jouant d’un clair-obscur digne d’un Caravage du 7ème art (la scène des pleureuses notamment).
EXCELLENT MARC ZINGA
La manière dont le récit semble se disperser épouse parfaitement la complexité dans laquelle évolue le personnage principal, fort bien défendu par Marc Zinga (vu notamment dans l’excellente série « Engrenages » ou encore « Dheepan », Palme d’Or à Cannes en 2015). Nous entrons en effet dans son marasme personnel lorsque, l’accompagnant, nous perdons un peu le fil du temps et la notion de l’espace. Véritable déraciné, aussi bien dans sa Belgique de résidence que dans son Congo natal, il se drappe des atours du fameux « homme de trop » si présent dans la littérature russe (« litchni chelovek »).
Mais en dépit de ces circonlocutions de la narration, certains points de repère solides ramènent le spectateur sur la bonne voie, celle d’un féminisme assumé, celle des chocs culturels, celle des inégalités sociales aussi (l’abominable plan du cimetière en pleine décharge publique). Le tout nimbé d’une incontestable poésie, à la lisière du surréalisme parfois mais qui au final se meut en quête initiatique que rehausse l’époustouflante beauté des images, à commencer par celle des rites et fêtes locales, aussi envoutantes qu’inquiétantes.
Franck BORTELLE