UN POISON NOMMÉ TERRORISME

Le cinéma a fait son grand retour ce 6 mars à l’Institut français sous l’impulsion de l’inusable et indispensable Israël Tounou qui a proposé, en attendant l’imminente Fête du Cinéma francophone dès le 19 mars, de découvrir un documentaire aux images d’une fracassante beauté qui décrit avec une rare intelligence le poison sans merci qu’est le terrorisme dans la vie d’un village du nord Cameroun. Un film puissant auréolé de nombreux prix…

Dans le nord du Cameroun, le village de Kolofata vit sous la menace du groupe terroriste Boko Haram dont il a déjà été victime. Les enfants comme les adultes composent avec cette réalité devenue terriblement banale. 

C’est un poison lent, insidieux, sournois que décrit avec une tragique lucidité la cinéaste Cyrielle Raingou. Un poison qui, tel un cancer, ronge, s’inocule dans les êtres, les chairs, les esprits, les souvenirs,  les âmes. Il est partout : personnifié par la présence de militaires armés jusqu’aux dents, sans visage visible et dont la présence est admise comme un élément de décor ; suggéré par de sourdes détonations ou le temps d’un plan furtif sur un hélico au lointain (aucune action de guerre mais cette présence permanente, même plus anxiogène à force de s’être immiscée dans la banalité, la normalité du quotidien) ; montré à travers les récits des êtres qu’il a enlevés à leurs familles, dans les chansons, dans les dessins et les moulages qu’effectuent les enfants en dépit des efforts de l’instituteur pour leur faire oublier cette réalité…

ESPACE ET TEMPS INFECTÉS

La puissance de ce film aux images d’une fracassante beauté et au montage particulièrement judicieux qui juxtapose l’horreur et l’innocence tient aussi dans la manière dont l’axe temporel, autant que l’espace, est gangréné par ce conflit. Qu’il s’agisse du passé, à travers les récits des femmes qui ont perdu un être cher, du présent ou du futur qu’incarnent bien sûr les enfants, le mal est partout et semble indestructible car il a atteint les êtres les plus vulnérables qui n’ont jamais rien connu d’autre et ne s’en déferont jamais. 

Malgré tout cela, la vie continue, les enfants jouent, même s’ils se posent forcément des questions, ils vont à l’école car les mères mettent un point d’honneur à leur offrir une éducation. 

LUCIDE MAIS JAMAIS MISÉRABILISTE

Bien que la caméra se pose le plus souvent sur les êtres les plus fragiles en ces périodes d’instabilité, femmes, vieillards et enfants, jamais le film ne sombre dans le misérabilisme, parvenant même à faire sourire devant le désarmant naturel des gamins. Il y a quelque chose de profondément digne dans le comportement de ces individus, de cette dignité qui se mêle à une terrible résignation. Cyrielle Raingou dresse un état des lieux désespérant de cette Afrique engluée dans ses guérillas meurtrières sans jamais se départir pour autant de son rôle de documentaliste. Et c’est en superposant ces deux réalités qui fusionnent si tragiquement, la vie simple et tranquille et la menace permanente, qu’elle parvient avec une caméra qui scrute, dissèque chaque moment, chaque mouvement, à conférer toute l’originalité à ce documentaire déjà primé à de nombreuses reprises.

Franck BORTELLE

Le Spectre de Boko Haram, de Cyrielle Raingou était projeté à l’IFT le 6 mars dernier.

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