
« LES GARDIENS AUSSI PASSENT LEUR VIE EN PRISON » (1)
Plus qu’un simple film carcéral, le nouveau film du cinéaste déjà auteur du très réussi « La fille au bracelet » aborde frontalement de nombreux thèmes sociétaux en choisissant de planter le décor sur l’ile dite « de beauté » mais où tout ne brille pas par sa splendeur. Racisme, trahison, quête du profit se taillent la part du lion dans ce film très abouti où Hafsia Herzi, de chaque plan, offre une époustouflante performance récompensée par un César amplement mérité en 2025.
La prison, un peu comme les tribunaux, a toujours inspiré les grands cinéastes. Mais là où les salles d’audience ont donné de très grands films (de « La Vérité » de Clouzot au récent « Anatomie d’une chute » de Triet en passant par « Le procès Goldman » de Kahn ou, plus anciens, « Le Procès Paradine » d’Hitchcock et « Témoin à charge » de Wilder), les milieux carcéraux ont plus souvent garni les escarcelles d’un genre cinématographique proche de la série B. Emergent du lot certes « les Evadés » (bien que très larmoyant tout comme « La Ligne Verte », tous deux signés Darabont), « Un prophète » de Jacques Audiard (qu’on a toutefois le droit de trouver terriblement bavard et long) ou encore « L’Evadé d’Alcatraz » de Siegel et « La grande évasion » de Sturges, tous deux résolument tournés vers la solution de sortir du bourbier carcéral.
En France, restent le chef-d’œuvre de Jacques Becker, « Le trou » évoquant également l’évasion et, moins connu, le terrifiant mais non moins admirable « Une part du ciel » sur l’univers carcéral au féminin signé Bénédicte Liénard (2002).
Une très belle leçon de cinéma
« Borgo » qui vient de sortir en DVD, offre à la fois un grand film sur l’univers concentrationnaire radicalement différent de tous ceux cités ci-dessus, mais aussi une immense leçon de cinéma que prolongent d’ailleurs d’excellents compléments de programme.
Une jeune femme est mutée comme gardienne dans une prison en Corse. Elle fait rapidement l’unanimité parmi les détenus avec lesquels elle fait preuve à la fois de respect et de fermeté. Mariée à un Africain qui subit un racisme sans ambiguïté, elle prend peu à peu conscience qu’il faut vivre avec le milieu pour que l’existence soit moins pénible. Deux hommes sont abattus à l’aéroport d’Ajaccio. Un commissaire marmoréen mène l’enquête. L’étau va se refermer sur la matonne…
Minutieusement mis en scène par Stéphane Demoustier (« La fille au bracelet ») avec une alternance de superbes plans-séquence dans les couloirs du pénitencier pour mieux en traduire l’enfermement du personnage à travers ses incessants déplacements et de cadrages hyper serrés qui plongent le spectateur au cœur du propos, « Borgo » se singularise aussi par sa construction. Le cinéaste a en effet opté pour un enchâssement de deux lignes narratives qui, durant tout le film décrivent de parfaites parallèles jusqu’au moment où leur croisement s’avère inévitable. Ce procédé narratif, qui n’est pas sans rappeler certains films de Brian de Palma (notamment « Snake Eyes » ou « L’impasse » avec les points de vue différents d’une même scène), va insuffler une nervosité salvatrice et une urgence au film.
Un montage « high level »
Mais la subtilité du film ne s’arrête pas là. Jouant sans cesse sur la capillarité permanente entre confiance et trahison, enfermement et liberté, intérieur et extérieur, la beauté et la laideur de la Corse, brouillant à l’envi les pistes sur lesquelles s’aventurent et parfois se perdent les personnages, le cinéaste, fortement épaulé par un monteur high level, va toujours à l’essentiel : l’efficacité des images qui montrent l’interdépendance de tous ces milieux et camps que tout oppose.
Hafia Herzi au sommet
La magistrale composition de Hafia Herzi, comédienne caméléon révélée dans le chef d’œuvre de Kechiche « La graine et le mulet » (qui lui avait valu le César du meilleur espoir féminin), va bien sûr porter le film vers les sommets. Flegmatique, mutique, presque effacée et ne prononçant que le strict nécessaire, puisant sa force dans ce qu’elle a de plus fragile (son équilibre conjugal), elle confère à son personnage ce mystère savamment entretenu qui finit par forcer le respect des détenus. Ses coups de gueule n’en sont alors que plus éclatants. Elle est repartie avec le César de la meilleure actrice lors de la cérémonie en mars dernier. Une récompense plus que méritée.
Soulignons enfin l’excellence des bonus du DVD où le cinéaste et son chef monteur livrent une passionnante leçon de cinéma en décortiquant les séquences coupées au montage.
Franck BORTELLE
- Phrase de Sacha Guitry
Borgo, de Stéphane Demoustier, sorti en DVD/Blue Ray