UN SPECTACLE DE HAUT VOL

A partir d’un texte saisissant du Camerounais Edouard Elvis Bvouma mêlant humour noir et froide lucidité, le metteur en scène béninois Migan Bardol réussit un spectacle de haut vol sans le moindre temps mort et mené par trois comédiens impressionnants. Une vraie réussite.

L’actualité a souvent saisi des faits d’immigration clandestine fruit d’une imagination tristement débordante de la part des candidats à ce forfait. On se souvient des trains d’atterrissage d’avion servant de planque à des malheureux arrivés morts en France, sans parler bien sûr des évasions par la mer toujours d’actualité. « Zone Franc(h)e » part d’un cas similaire et met en scène un jeune Camerounais arrivé par bateau après avoir aménagé une réserve de fortune dans le tronc d’un arbre. Interpellé, il reçoit la visite d’une avocate commise d’office très motivée à défendre ce drôle de clandestin dont la presse s’est emparée et celle d’un inspecteur prêt à tout pour faire vivre au malheureux un retour à la case d’espoir…

UN PUISSANT EXERCICE DE STYLE

Le texte, récompensé par le prix Théâtre RFI en 2017, est d’une richesse inouïe. Bourré de jeux de mots qui ne servent pas simplement d’enluminures au propos mais font vraiment sens, il est par ailleurs aussi drôle que lucide. D’un humour souvent très noir ou s’invitent de surprenantes métaphores (la femme vue comme un pays et inversement), le dialogue réserve également de belles formules qu’on classerait volontiers dans un répertoire de citations. Le fait à l’origine du texte devient alors quasi anecdotique et permet à l’auteur de dresser un état des lieux saisissant des drôles de liens qui unissent l’Europe à l’Afrique. La réflexion menée où s’entremêlent déni de culpabilité et francophilie convoque aussi bien l’histoire que l’actualité chaude.

DOUBLE URGENCE

La mise en scène que propose Migan Bardol porte en elle toute l’urgence d’une situation pourtant engluée dans un laxisme politique qui n’ose dire son nom et un immobilisme étatique dans lequel l’individu n’est rien, le tout rehaussé d’une animosité de l’homme vers l’homme. En perpétuel mouvement, la scénographie va donc faire écho à cet état d’urgence à double titre : celui d’en finir avec ce cas si particulier mais également celui de faire enfin cesser toutes ces déchirures qu’occasionnent les rêves de ceux qui aspirent tout simplement à un avenir meilleur. La totale occupation de la scène, le rythme soutenu et l’interprétation de haut niveau font de cette histoire d’arbre de vie une incontestable réussite.

Franck BORTELLE

Zone franc(h)e. Un texte d’Edouard Elvis Bvouma avec Nandja Adeline, Kossou Archimède et Agbla Casimir.

Mise en scène : Migan Bardol

Scénographie : Farouk Abdoulaye

Prochaine représentation : 9 décembre à 19h45 à l’Espace Fiôhomé.

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