RÊVES CAUCHEMARDESQUES

D’une idée de départ absolument géniale, Kristoffer Borgli, également scénariste, livre un film haletant constituant au passage une charge vitriolée contre le monde moderne des réseaux sociaux qui exacerbent plus souvent la bêtise qu’ils ne rendent intelligents. Si l’ensemble aurait pu être plus cinglant encore, ce cauchemar éveillé que vit Nicolas Cage qu’on n’a pas vu aussi bon depuis des lunes, mérite amplement le détour…

Un modeste prof d’université, modèle du quidam sans envergure, menant sa petite existence entre une famille aussi terne que lui, des étudiants qui se foutent de ses cours et un projet de bouquin dont il rêve sans avoir écrit une seule ligne. Le genre de type totalement transparent que personne ne remarque, que personne n’envie car trop chiant en société… Sauf qu’un jour, une personne va le voir dans ses rêves, puis une autre, puis une autre. Le phénomène s’intensifie, prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux et notre illustre inconnu se retrouve sous les feux des projecteurs. Du has been à la star, avec tout le cortège d’emmerdements que cela suppose, surtout lorsque les rêves prennent une tournure inattendue…

UNE BRONCA POPULAIRE DIGNE DE DUVIVIER

Des idées de départ aussi géniales, soyons honnêtes, on n’en a pas deux par an. A ce titre, le scénariste norvégien Kristoffer Brogli, mérite amplement tous les satisfecit avec cette amorce aussi originale que celle de « Dans le peau de John Malkovich » de Spike Jonze ou du génial « Truman Show » de Peter Weir (sur un scénario d’Andrew Nicols). Jouant sans cesse sur diverses dichotomies, rêve et cauchemar, réalité et fantasme, anonymat et notoriété, gentillesse et méchanceté, le scénario réserve de très belles surprises, démarrant comme une comédie pour glisser subrepticement vers le drame totalement incontrôlable lorsque ce brave prof devient, l’instar de tant de personnages chez Julien Duvivier (« Panique », « Anna Karenine », « Marie-Octobre » et tant d’autres), victime d’une bronca populaire inextricable.

Toute la petitesse du monde dans lequel se déroule l’action fait l’objet, outre d’un traitement ad hoc de l’image, d’une sévère critique sociale des plus jubilatoires. Comme quelqu’un qui aurait gagné au loto, ce prof sans éclat auquel Nicolas Cage, dont c’est le grand retour, insuffle toute la beaufitude et la pleutrerie possibles dans un jeu d’une totale retenue proche de Woody Allen parfois, va faire l’objet de sollicitations auprès de tous ceux qui jusqu’à présent le méprisaient souverainement. Une démonstration éclatante de ce parasitisme qui sévit dès qu’une once de notoriété tombe sur quelqu’un.

UN FINAL ESCAMOTÉ

Il est dommage toutefois que la fin ne tienne pas toutes les promesses supposées au départ. Le cynisme va déserter l’écran et l’ensemble se prendre peut-être un peu trop au sérieux. La sagesse prend le dessus et, malgré l’exceptionnelle performance du comédie principal, on se dit que, traitée à la scandinave et débarrassée de certains atours hollywoodiens, cette production aurait gagné en cruauté et en drôlerie sans s’enfoncer dans le consensuel. On y était presque, grâce à un traitement souvent très réaliste du sujet : ne manquait qu’un peu d’audace dont ont si souvent fait preuves les Thomas Winterberg et autres Lars von Trier…

Franck BORTELLE

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