RAPPER SANS DÉRAPER

Il a l’esprit qui rappe autant que la langue. Rappeuse mais suffisamment contrôlée pour contrôler tout dérapage… Suspect 95, la nouvelle coqueluche de la musique urbaine, véritable icône dans son pays, la Côte d’Ivoire, était en conférence vendredi 16 février à l’institut français du Togo devant un public très attentif à tous ses conseils. Portrait d’un rappeur pas comme les autres…

Il arrive avec sa coupe épaisse comme une moquette de maison cossue et des lunettes noires qu’il ne quittera pas une seconde. Un look qu’il s’est façonné comme une identité, rappelant toutefois quelques autres célébrités de la nouvelle génération de la variété francophone. Il précisera que c’est de là que presque tout est parti. Une identité, une physionomie reconnaissable qu’il lui a fallu se forger. Pour l’emballage, ce sera tout. Le gars est ivoirien et la façade n’est pas une billevesée au pays de l’atiéké… Place plutôt à ce qu’il y a à l’intérieur. Bien plus intéressant…

Le verbe précis sans chercher forcément à marteler un discours tel un politicard qui n’y croirait qu’à moitié, Guy Ange Emmanuel, alias « Suspect 95 », pseudo combiné d’un jeu vidéo et de son année de naissance, se définit comme un artiste avec un grand « A ». Sauf que cela ne suffit plus aujourd’hui. Le meilleur artiste, dit-il, n’est rien en 2024 s’il n’a pas pour ligne de conduite trois essentiels : authenticité, communication, adaptation. 

Une intelligence redoutable

Dans un discours qui semble très rodé, il va asséner quelques vérités qui sonnent comme autant de pléonasmes mais qui définissent pourtant la plus logique, la plus pertinente des lignes de conduite. Le gars n’est pas bête, loin de là. On peut même dire qu’on n’est face à une redoutable intelligence. La sentence aussi facile que le conseil, il n’y va pas par quatre chemins. « Soyez-vous même. N’allez pas à gauche si tout le monde y va. Vous y trouverez toujours des plus talentueux que vous ».  

Et de se souvenir de ses débuts lorsqu’il faisait de la musique comme « un petit rappeur parisien ». S’adapter à son milieu au lieu de copier/coller. Forcément…L’identité musicale avant tout, celle qui fera la différence, celle qu’on puise dans son vécu, ses racines, son être profond. Mais à condition d’avoir quelqu’un à qui la faire écouter. 

Fuir les bénis oui-oui

C’est là qu’intervient le couplet sur les relations. Dans un pays où la susceptibilité est un sport national, où l’on ne peut pas souvent dire à un artiste qu’il fait de la daube, le discours de « Suspect » comme le nomment ses fans a quelque chose de salutaire. « Si tu t’entoures de bénis oui-oui, tu vas droit dans le mur. Il faut quelqu’un pour te dire que tu fais de la m…., que c’est nul. Mais attention, les jaloux te le diront aussi sans arrêt. Présente leur plusieurs choses et là, tu verras vraiment s’ils sont sincères ». 

Des punchlines comme celles-ci, il en a plein sa besace. De simple cerises sur le gâteau car le discours est passionnant, attachant même. Et lorsqu’il parle de ses fans, la langue ne devient pas de bois pour un exercice pourtant de haute voltige. Car il y a fans et fans. Les vrais. Et les flottants comme il les appelle : « Ne perds pas ton temps avec.  Ok ils aiment ce que tu fais mais demain, voire avant, ils iront voir ailleurs ». Sa communauté qui compte quelques milliers d’âmes, c’est sa force. Son principal argument pour avancer. Et aussi faire du business. Car, lucide jusqu’au bout, il a conscience qu’on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche et n’hésite pas à se présenter aussi comme une entreprise. Avec ses employés pour tout ce qui relève de l’administratif pour qu’il se consacre à son art. « Oui, j’ai un comptable, maintenant »… Pour éviter de vivre au-dessus de ses moyens. « Un piège qui se retournera toujours contre toi ». 

Premier album

Marié depuis peu à une Française ancienne employée chez Universal France, ce jeune artiste à l’ambition affirmée sans sombrer pour autant dans une mégalo galopante, devrait vite voir sa notoriété franchir les mers et océans. Son tout premier album « Société suspecte » vient de sortir. L’artiste compte bien sûr désormais sur ses vrais fans pour s’en faire les relais mais également sur les médias dont il n’hésite pas à évoquer la nécessité. Devant un aréopage de personnes non issues du milieu de la presse, une telle remarque même pas suspecte a le mérite de ne pas sonner comme une démonstration de démagogie…

Franck BORTELLE

« Société suspect » Chez Universal

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